Déclaration SNTRS-CGT sur le Contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) du CNRS, CA du 20.12.2024
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Déclaration SNTRS-CGT sur le Contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) du CNRS, CA du 20.12.2024
Si la phrase de l’introduction « sans recherche fondamentale il n’y a pas d’histoire, et donc plus de progrès et pas de réponse aux grands enjeux de nos sociétés » se vérifiait à chaque étape du COMP, nous aurions été comblés. Mais ce n’est pas le cas. Des ombres, nombreuses, obscurcissent le tableau. La tentation est grande de dire qu’en fait ce ne sont ici que des paroles creuses.
Et si on va au bout de notre lecture, voilà l’annexe financière qui a l’air complètement hors sol. Dans la période trouble que nous traversons, sans budget 2025, quel est exactement l’engagement de l’État vis-à-vis du CNRS ? De financer les emplois permanents ? Cette ligne comprend, de façon complètement contraire à la réalité, les CPJ qui ne sont que des postes de « précaires de luxe » comme en a récemment témoigné une jeune et brillante collègue recrutée sur une telle chaire à l’INSERM après plusieurs années à l’étranger : on détourne donc les mots et distord la réalité. Sont-ce les seuls postes supplémentaires qui font passer la dépense de 104,3M en 2024 à 109,1M en 2027 et 2028 ? Piètre augmentation. Les moyens aux laboratoires sont, quant à eux, stables tout le long du contrat. Aucune des parties contractantes ne s’engage à les harmoniser au moins avec l’inflation, pour ne pas parler du sacrilège qui serait de les mettre en adéquation avec les besoins… Si la recherche au CNRS a comme mission de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et surtout de demain, comment est-ce possible de le faire avec une pénurie constante ?
La ligne la plus irréaliste est celle des ressources européennes escomptés : en 2028, elles seraient 7,6 fois plus importantes qu’en 2024 ! Compte tenu de la sélectivité des projets européens, et même si, sous la pression (qu’on appellera « incitation » pour faire joli) tous les jeunes collègues se mettent à déposer des ERC, comment peut-on tabler sur une telle réussite ? C’est là où l’on voit que nous, les représentants du personnel, avions raison de nous inquiéter de la précarité des postes d’ingénieurs projet européen. Elles et ils font un travail de très grande qualité, nous sont d’une aide plus que précieuse. Mais leur statut de CDD fait que nous ne pouvons pas compter sur leur stabilité. Or, il est rare qu’un projet européen réussisse du premier coup. Remettre l’ouvrage sur le métier avec les conseils de ces collègues sera nécessaire. Nous craignons un double découragement : moins de dépôts par manque de continuité des conseils, et moins d’entrain de la part des IPE pour rester au CNRS sans perspective de carrière.
Nous apprécions le fait de commencer le COMP par la partie sur les personnels, car ce sont eux qui font le CNRS et se sentent de moins en moins à l’aise dans leur maison. Mais, outre le fait qu’il n’y a pas « trois » mais seulement une voie de recrutement de permanents, celle des concours de la fonction publique (les DR dits externes sont recrutés aussi via ce concours), aucune action n’est prévue pour remédier au constat que, concernant le personnel d’appui, « les non-remplacements induisent une charge de travail supérieure pour les collègues restants ». Continuer dans cette voie aboutirait à faire de la recherche sans personnel d’appui, ce qui est une aberration.
Le CNRS est fier de sa « politique d’égalité professionnelle volontariste » menée depuis 10 ans. Mais le comité qui lui a décerné le prix européen n’a pas dû remarquer que toutes les fonctions de la haute direction sont occupées par des hommes : PDG, DGDR, DGDS, directeur à l’innovation, et, jusqu’à récemment, DRH. La direction ne compte pas dans la politique de parité du CNRS ? On apprécierait une mesure « volontariste » sur ce point.
La partie Science ouverte aurait pu être enrichie avec une référence aux sciences participatives (ou « citoyennes ») qui en est une partie intégrante selon la recommandation UNESCO. La science ouverte a deux volets : l’un destiné à la communauté scientifique, l’autre au public dont elle améliore la « littératie » scientifique, si essentielle dans une période où l’anti-science et l’irrationalité, voire la fausse science, se développent dangereusement. La question de l’ouverture des données est centrale dans ce contrat, ce qui nous semble judicieux. Mais là aussi, la précarité refait surface : pour nous accompagner à la gestion des données (qui n’est pas un travail aisé et nécessite formation et expérience), ne sont embauchés que des ingénieurs en CDD.
Nous apprécions la partie internationale, notamment le nouveau déploiement du plan Afrique dont nous avons dit beaucoup de bien la première fois qu’il nous a été présenté. Nous espérons que l’esprit « décolonial » continuera à caractériser les nouveaux partenariats. Nous espérons aussi que nos collègues du Sud pourront avoir les visas dont l’obtention est si compliquée au point d’empêcher des échanges. Le CNRS pourrait en être le facilitateur, dans une France où le politique ne voit « l’immigration » que sous l’angle de la menace ou de « flux » qu’il faut endiguer.
Les partenariats avec la société civile ont été enrichis au dernier moment suite à l’intervention d’élus. Il était temps. Mais il serait mieux de ne pas se limiter à quelques phrases, et surtout, de ne pas voir les partenariats avec les collectivités locales et les associations uniquement sous l’angle des « ressources ». Ce n’est pas en ayant toujours en tête ce que le CNRS peut matériellement gagner que nous allons développer « l’innovation sociale » au profit des communautés.
Le pourcentage des recrutements en lien avec les six défis augmentera de 10% par an pour la durée du contrat : cela serait bénéfique si le CNRS augmentait en même temps ses recrutements non profilés, pour faire de la recherche libre. D’ailleurs, lesdits défis ont-ils été discutés dans les instances scientifiques ? Sont-ils issus de débats dignes d’une « démocratie scientifique » ? Ce sont là des questions rhétoriques…
Nous ne sommes pas d’accord sur l’objectif « d’augmenter le montant des financements issus du secteur privé » énoncé sans préciser les critères du CNRS pour les obtenir : quel choix des acteurs ? On ne voit nulle part leur contribution à l’emploi scientifique et à la réindustrialisation de la France que les politiques gouvernementales durant de longues années ont provoquée. Rien sur des critères environnementaux pour éviter que le CNRS devienne une « blanchisseuse ». Et rien sur la garantie de l’indépendance de la recherche publique face au privé et des coopérations équilibrées et mutuellement avantageuses. Naïveté ou angélisme ? Le même esprit règne dans la partie des « programmes expérimentaux » où on veut « accueillir des entreprises dans les laboratoires » pour créer un écosystème d’innovation et doter quelques laboratoires de « bureaux d’études internalisés » : veut-on transformer le CNRS en sous-traitant d’entreprises qui verraient là une opportunité pour ne pas ouvrir leurs propres bureaux d’études et ne pas recruter le personnel qualifié qui va avec ?
Comme nous allons devenir des champions de l’innovation, utilisons pour commencer la novlangue anglo-française dans notre COMP : que viennent faire, dans le chapitre sur la communication, les « contenus corporate » ? Et que signifie la transformation du pavillon de Meudon en « showroom science et innovation ? Va-t-on y organiser des défilés de mode ? La médiation scientifique n’est pas juste de la « com », c’est un métier qui participe de la « littératie scientifique » du grand public. Après le fiasco de la vente, le pavillon historique qui nous reste à Meudon mérite mieux que de devenir un lieu de spectacles mal définis. Un centre de médiation pourrait être un haut lieu d’éducation populaire. Pourquoi ne ferait-on pas appel à des associations spécialisées dans ce domaine ?
Nous arrivons à la partie la plus polémique qui soulève d’énormes inquiétudes, surtout après les annonces du 12 décembre sur les « laboratoires-clés ».
Dans la partie 5, chapitre iii, sur les unités communes, apparaît un nouveau statut de laboratoires « de rang mondial » où « l’implication du CNRS serait plus forte et plus pérenne » et qui « resteraient sous la double tutelle » université/CNRS. On voit là un écrémage qui se prépare : les unités qui n’auraient pas la « chance » d’être labellisées seraient-elles poussées dehors ? Le « rang mondial » n’est d’ailleurs pas défini. Le CNRS donne l’impression de ne vouloir garder que les super-excellents où iraient les moyens. On ne prête qu’aux riches. Les autres n’auront que leurs yeux pour pleurer. Le pire sort est réservé à nos collègues gestionnaires, qui seraient mutés d’office suite à la délégation globale de gestion (DGG).
Si cette restructuration/déstructuration est une façon de « gérer la pénurie », sa présentation est bien cynique : soyez mondiaux ou périssez ! Dans la grande braderie des rares « mondiaux » et des nombreux « médiocres », tout le monde se pressera pour faire partie des premiers, mais la majorité perdront. La compétition féroce a d’ailleurs déjà commencé : certains laboratoires se demandent comment faire partie des heureux élus. Si on voulait semer la zizanie au CNRS, on ne s’y prendrait pas autrement. La trouvaille est astucieuse, mais ses conséquences seront désastreuses pour le CNRS et la recherche. Elles seront catastrophiques pour les personnels. Aucun « outil de mesure » des risques psychosociaux n’arrivera à les évaluer : il sera vite explosé par la souffrance générée. Le SNTRS-CGT ne restera pas inactif face au bouleversement qui se prépare.
À la fin du COMP, voilà le mantra de la « simplification ». Cette antiphrase est en décalage avec ce que nous vivons sur le terrain. Nous, les élus, avons à plusieurs reprises souligné le besoin d’une véritable simplification qui ne vient jamais. Si la dématérialisation (il s’agit en fait de la numérisation car le numérique est très « matériel » si on l’envisage sous l’angle de son impact environnemental) équivaut simplification, la magie n’opère pas : le numérique complexifie les plus souvent le travail de nos collègues administratifs, et plonge tout le monde dans une bureaucratie parfois kafkaïenne. Faute d’interlocuteurs humains, puisque les services compétents sont dépeuplés et remplacés par des boîtes mail génériques, on est souvent livrés à nous-mêmes. On attend que des « gentils » prestataires remplacent les actuels, qui nous font naviguer à bord de goélettes sans boussole ou de Nautilus [Notilus] restés à l’époque de Jules Verne ?
La nouvelle mission créée pour mesurer « l’impact » de la recherche et du CNRS verra son travail facilité par l’élimination de ceux qui ne réussiront pas à passer entre le Charybde du « rang mondial » et le Scylla de la « simplification ». « La recherche est un investissement pour le futur […] certains [de ses] impacts ne peuvent pas être programmés ». Ces paroles de la conclusion sonnent aussi creux que celles de l’introduction. C’est dommage que la montagne de l’engagement entre l’État et son principal opérateur de recherche a accouché d’une souris, menaçante comme certaines créatures de films fantastiques. Le SNTRS-CGT ne trouve pas son compte dans ce COMP.