Déclaration de l’élue du SNTRS-CGT au Conseil d’administration sur le nouveau ministre ESR
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Déclaration de l’élue du SNTRS-CGT au Conseil d’administration sur le nouveau ministre ESR
Il y eut d’abord, en juin et juillet derniers, une séquence électorale où le pire a été évité grâce au sursaut citoyen. Il y eut ensuite une trop longue période d’attente, sous prétexte de « trêve olympique » et de conciliabules. Pendant ce temps, un gouvernement démissionnaire censé régler seulement les affaires courantes s’est octroyé le droit d’envoyer les lettres de cadrage budgétaires pour 2025, prélude à une super-austérité. Il y eut enfin, le 21 septembre, la nomination d’un nouveau gouvernement sous la surveillance (pour ne pas dire le haut patronage) de cette extrême-droite identifiée comme dangereuse lors de la séquence électorale précitée par presque toute la communauté de l’ESR, au delà des personnels et des organisations syndicales.
D’emblée, les mots dette et déficit ont envahi l’espace public. Le gouvernement chercherait 40 milliards pour 2025, étant même plus royaliste que le roi-Europe, qui ne demande « que » la réduction du déficit de 0,5% du PIB, 15 milliards. Les services publics, systématiquement associés à la « dépense » et non à l’investissement pour le bien commun, seront les premiers visés. La recherche publique, où l’investissement est déjà considéré comme insuffisant même par des personnalités en poste de direction comme Yasmine Belkaid, directrice générale de l’Institut Pasteur, passera évidemment à la caisse.
Et voilà : habemus ministrum, le professeur de gestion Patrick Hetzel.
S’il est vrai qu’un ministre est surtout jugé sur ses actes présents, le passé du nouveau ministre de l’ESR comporte des aspects inquiétants : le 24 avril dernier, il souhaitait la résurrection de l’enquête promise en 2021 sur le prétendu « islamo-gauchisme » à l’université, une enquête que le CNRS, et c’est tout à son honneur, a refusé de cautionner ; plus loin dans le temps, lors de la pandémie, Monsieur le ministre avait pris des positions peu conformes à la rationalité scientifique et fortement critiquées par des spécialistes en épidémiologie et infectiologie.
Mais revenons au présent. En grec, « échantillons d’écriture » est une expression qui désigne les premiers actes forts indiquant la future ligne de conduite de personnes à des postes de haute responsabilité notamment politique. Et les premiers « échantillons d’écriture » du ministre ne sont guère rassurants (c’est une litote) :
- Il s’entoure de personnes portées vers l’innovation et le secteur privé, ce qui pourrait réduire la place de la recherche fondamentale et publique, celle qui, selon la devise du CNRS, est « au service de la société », non du profit. On lui fait réviser ses fondamentaux, à savoir qu’il n’y a pas d’innovation sans recherche de base ou que les start-up ne sont pas l’ultime preuve de la qualité du travail des chercheurs ?
- Il n’annonce pas de feuille de route précise lors de la passation des pouvoirs, mais réserve l’annonce de ses priorités à un syndicat étudiant d’extrême-droite, l’UNI, qui se dit « très honoré » de la venue du ministre à son congrès. « Montre-moi tes amis… » ?
- Tout en déclarant que la recherche est « un investissement » et non une dépense (des paroles gratuites), il s’inscrit dans la ligne austéritaire qui prétend « redresser » les finances publiques et fait même preuve de naïveté (pour ne pas dire d’inconscience ou d’ignorance) en prétendant que les budgets européens de la recherche vont pallier le manque de moyens de la recherche française. S’il a « l’Europe chevillée au corps » comme il le déclare, comment est-ce possible de miser sur des budgets déjà rabotés et dépendant de la contribution des gouvernements qui ne mettent pas la recherche parmi leurs priorités ?
- Le 4 octobre, en guise d’action préventive, à l’approche « de la date anniversaire des massacres du 7 octobre 2023 en Israël », il envoie une circulaire aux présidents d’universités et directeurs d’établissements pour leur « rappeler » leurs devoirs. Truffée d’articles du code de l’éducation ou mentionnant des actes et propos réprimés par la loi que nul n’est censé ignorer, cette circulaire semble complètement inutile : elle n’apporte rien de nouveau. Sorte de procès d’intentions face à un monde académique traumatisé déjà par le précédent d’une lettre similaire de Madame Retailleau, lettre que certains ont interprétée comme une incitation à la délation et aux règlements de comptes entre collègues, la circulaire du 4 octobre ajoute des restrictions à des libertés académiques bien fragiles. Cerise sur le gâteau : c’est au nom de la « laïcité » que les manifestations ou expressions liées au conflit israélo-palestinien ne doivent pas avoir lieu. On lui rappelle que la « laïcité » est avant tout une liberté ? On lui fait lire le rapport de l’OCDE (septembre 2024) sur l’état des carrières dans l’ESR, qui consacre un chapitre entier à la protection des libertés académiques qui se détériorent y compris dans les pays de l’UE ?
- Une nouvelle loi immigration est annoncée, quand tous les décrets de la précédente ne sont même pas encore parus. Dans cette fuite en avant politicienne destinée sûrement à plaire à l’extrême-droite, le monde de l’ESR, dont les métiers ne sont pas « en tension », risque d’être fortement impacté. Pas un mot de notre ministre, si ce n’est encore des paroles vagues stipulant il « échangera » avec son collègue de l’intérieur, celui pour qui « l’état de droit n’est ni intangible ni sacré ». Monsieur Hetzel ignore-t-il volontairement qu’au seul CNRS, en 2023, 33,8% des chercheuses et chercheurs recrutés sont de nationalité étrangère, ce qui prouve son attractivité ? Ou que le Conseil constitutionnel avait déjà censuré deux dispositifs honteux de la loi précédente, la « caution de retour » des étrangers non-européens et les frais d’inscription différenciés ?
Les « mains d’humanistes » identifient les savants de la Renaissance. La « main » de notre ministre identifie une politique qui poursuivra et accentuera la mauvaise pente où se trouve la recherche publique déjà impactée par la politique hostile des gouvernements précédents. Les personnels sous pression, les laboratoires et services désorientés par une « simplification » qui complexifie au lieu d’alléger, ont urgemment besoin d’une autre politique qui donne à la recherche scientifique la place de choix qu’elle mérite pour faire face aux défis présents et à venir. Ce sera la seule ligne de conduite du SNTRS-CGT, qui se tiendra toujours aux côtés des collègues et se mobilisera pour défendre et développer le service public de l’ESR.